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L'évolution des comportements liés à la transition énergétique

Le Dr. Raphaël Fonteneau, chercheur et chargé de cours adjoint à l’Université de Liège, est spécialisé dans les smart grids, les réseaux électriques intelligents. Il a accepté de répondre à toutes nos questions sur la transition énergétique.

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Eco quartier qui s'inscrit dans la transition énergétique

Vous êtes chercheur pour l'Université de Liège, que faites-vous, quels sont les objectifs de vos recherches ?

Raphaël Fonteneau : Mes recherches au sein du laboratoire Smart Grids de l’Université de Liège consistent à développer des modèles et des solutions algorithmiques permettant d’aborder des questions liées à la transition énergétique, en particulier aux réseaux électriques. On s’intéresse principalement aux questions liées à la réinjection d’électricité produite à partir de panneaux photovoltaïques dans le réseau, aux concepts de communautés énergétiques (des consommateurs / producteurs s’organisant en local afin de produire, consommer et stocker localement), et aux grands réseaux électriques interconnectés (entre pays, voire même entre continents).

 

Qu’appelle-t-on "transition énergétique" ? 

R.F. : Actuellement, environ 80% de l’énergie consommée dans le monde est d’origine fossile. Si le chiffre de 80% paraît énorme, cela provient du fait qu’ici, on parle d’énergie, et non pas uniquement d’électricité. En d’autres termes, la transition énergétique, c’est éviter les énergies fossiles car elles ne sont pas renouvelables et qu’elles sont responsables des gaz à effet de serre, et donc, à terme, du réchauffement climatique.

 

Pour le consommateur, quelle est la partie visible de l'iceberg ?

R.F. : Du point de vue du consommateur, il me semble que la partie visible de l’iceberg est l’énergie que le consommateur a conscience d’utiliser. Il s’agit du carburant pour la voiture, du gaz ou du mazout de chauffage, de la facture d’électricité. Il s’agit bien de la partie visible, car l’énergie intervient quasi partout, mais souvent de manière cachée. Regardez autour de vous, et cherchez un objet dont la conception, la fabrication, ou le transport jusqu’à vous n’a pas nécessité de l’énergie. Pas facile… Cela concerne également la production de nourriture, qui est fortement dépendante des énergies fossiles (fabrication d’engrais, utilisation des tracteurs, transport, etc).

 

Quels sont les changements de comportement et les effets concrets, palpables liés à cette transition énergétique ?

R.F. : La transition énergétique peut être perçue comme un élément d’une transition plus vaste, qu’on pourrait appeler la transition écologique. Une prise de conscience semble s’effectuer au sein du grand public sur le rapport entre les sociétés humaines et leur environnement. On perçoit ainsi un questionnement, ainsi que des changements de comportements, sur la façon de consommer, notamment de la nourriture. La notion d’empreinte écologique des biens consommés commence à prendre une place dans la prise de décision des consommateurs, y compris pour certains équipements électroniques, dont certains ne sont pas (ou très peu) recyclables du fait qu’ils contiennent une trop grande diversité d’éléments, chaque élément étant présent en trop petite quantité (typiquement, les smartphones).

Parmi les effets concrets de cette transition énergétique, au niveau des consommateurs, on peut penser aux personnes décidant d’améliorer l’isolation de leur maison, de ne pas prendre leur véhicule pour de petits trajets ou de prendre les transports en communs, etc. Du point de vue de la consommation d’électricité, on observe également des prises de consciences et des changements de comportement : des particuliers décident d’installer des panneaux photovoltaïques, ou bien s’engagent dans des projets de coopératives énergétiques.

 

La transition énergétique va impacter tous les secteurs de la société

Raphaël Fonteneau

Dans votre vision, comment sera le monde demain, quelle sera la prochaine étape? 

R.F. : La réflexion sur la transition énergétique se fait beaucoup au niveau de la production, l’idée étant de remplacer les sources d’énergie non-renouvelables par d’autres sources renouvelables. Certains scientifiques alertent sur la question du caractère renouvelable des solutions de substitutions proposées. Ainsi, les panneaux photovoltaïques, éoliennes et batteries sont des technologies fortement consommatrices de ressources métalliques. Les techniques de recyclage ne permettent pas encore de recycler la totalité des éléments présents dans ces technologies.

Dans le but de mieux utiliser ces technologies solaires et éoliennes, une partie de notre laboratoire de recherche développe des modèles visant à étudier la faisabilité de grandes interconnections entre les réseaux électriques à l’échelle des continents, notamment en ayant recours aux liaisons à courant continu, pour lesquelles les pertes en ligne sont limitées. L’idée est la suivante : lorsqu’une partie de la planète est dans l’obscurité, une autre partie bénéficie de lumière. En interconnectant électriquement ces zones, on pourrait ainsi théoriquement alimenter une zone dans le noir à partir d’énergie solaire produite ailleurs, au même moment. D’une part, cela éviterait d’avoir recours à des techniques de stockage d’électricité à grande échelle (dont le coût reste prohibitif), et d’autre part, cela permettrait de concentrer les moyens de production là où les gisements sont les meilleurs (par exemple,  les gisements de vent off-shore dans le nord de l’Europe ou à l’est du Groenland, et les gisements de soleil dans les déserts / sous les tropiques).  Enfin, ces grandes interconnections permettraient de gérer le problème des fluctuations saisonnières en connectant les hémisphères : lorsque c’est l’hiver dans l’hémisphère nord, c’est l’été dans l’hémisphère sud, et vice-versa. On pourrait ainsi théoriquement envisager de compenser les déficits de production solaire photovoltaïque en hiver par des productions solaires excédentaires situées dans l’autre hémisphère. Bien sûr, cela n’est pas sans poser beaucoup de questions d’ordres géopolitique, mais cette approche, appelée Global Grid en anglais, intéresse de plus en plus de chercheurs et d’ingénieurs.

Enfin, il me semble qu’on a pas assez abordé la question de la transition énergétique sous l’angle de la consommation. Cela consiste, pour le dire de manière abrupte, à réduire la consommation d’énergie. C’est une question épineuse, car la prospérité des sociétés reste intimement liée à leur consommation de ressources, et en particulier, d’énergie.

 

Qu’auriez-vous envie de conclure ? 

R.F. : La transition énergétique va impacter tous les secteurs de la société. C’est un projet immense, qui va s’étaler sur plusieurs décennies. Je pense qu’il s’agit en fait d’un véritable défi de société, capable de fédérer les gens, et pourquoi pas, si on est optimiste, de fédérer aussi les nations, qui vont devenir de plus en plus interdépendantes.